Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/23

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affectation, contemplait à loisir les traits qu’on lui avait dérobés.

Ce jour-là, don Andrès faisait sa revue avec plus de soin qu’à l’ordinaire ; il ne laissait passer aucun minois vraisemblable sans lui jeter son coup d’œil inquisiteur. On eût dit qu’il cherchait quelqu’un à travers cette foule.

Un fiancé ne devrait pas, en bonne morale, s’apercevoir qu’il existe d’autres femmes au monde que sa novia ; mais cette fidélité scrupuleuse est rare ailleurs que dans les romans, et don Andrès, bien qu’il ne descendît ni de don Juan Tenorio ni de don Juan de Marana, n’était pas attiré à la place des Taureaux par le seul attrait des belles estocades de Luca Blanco et du neveu de Montès.

Le lundi précédent il avait entrevu à la course, sur les bancs du tendido, une tête de jeune fille d’une rare beauté et d’une expression étrange. Les traits de ce visage s’étaient dessinés dans sa mémoire avec une netteté extraordinaire pour le peu de temps qu’il avait pu mettre à les contempler. Ce n’était qu’une rencontre fortuite qui ne devait pas laisser plus de trace que le souvenir d’une peinture regardée en passant, puisque aucune parole, aucun signe d’intelligence n’avaient pu être échangés entre Andrès et la jeune manola (elle paraissait appartenir à cette classe), séparés qu’ils étaient l’un de l’autre par l’intervalle de plusieurs bancs. Andrès