Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/46

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des « Aïe ! » et des « Hélas ! » et gémissait comme un cachalot échoué.

Le public, à la vue de la maladresse inconcevable de Juancho, se mit à faire un de ces triomphants vacarmes dans lesquels excelle le peuple espagnol : c’était un ouragan d’épithètes outrageuses, de vociférations et malédictions. « Fuera, fuera, criait-on de toutes parts, le chien, le voleur, l’assassin ! Aux présides ! à Ceuta ! Gâter une si belle bête ! Boucher maladroit ! bourreau ! » et tout ce que peut suggérer en pareille occasion l’exubérance méridionale, toujours portée aux extrêmes.

Cependant Juancho se tenait debout sous ce déluge d’injures, se mordant les lèvres et déchirant de sa main restée libre la dentelle de son jabot. Sa manche ouverte par la corne du taureau laissait voir sur son bras une longue rayure violette. Un moment il chancela, et l’on put croire qu’il allait tomber suffoqué par la violence de son émotion ; mais il se remit bien vite, courut à son épée, comme ayant arrêté un projet dans son esprit, la ramassa, la fit passer sous son pied pour en redresser la lame fléchie, et se posa de manière à tourner le dos à la partie de la place où se trouvait Militona.

Sur un signe qu’il fit, les chulos lui amenèrent le taureau en l’amusant de leurs capes, et cette fois, débarrassé de toute préoccupation, il porta à l’animal une estocade de haut en bas dans toutes