Page:Gautier - Poésies complètes, tome 2, Charpentier, 1901.djvu/51

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Enfin je débouchai dans une plaine morne
Qu’un ciel en feu fermait à l’horizon sans borne,
        D’un cercle de carmin.

Le sol de cette plaine était d’un blanc d’ivoire,
Un fleuve la coupait comme un ruban de moire
        Du rouge le plus vif.
Tout était ras ; ni bois, ni clocher, ni tourelle,
Et le vent ennuyé la balayait de l’aile
        Avec un ton plaintif.

J’imaginai d’abord que cette étrange teinte,
Cette couleur de sang dont cette onde était peinte,
        N’était qu’un vain reflet ;
Que la craie et le tuf formaient ce blanc d’ivoire,
Mais je vis que c’était (me penchant pour y boire)
        Du vrai sang qui coulait.

Je vis que d’os blanchis la terre était couverte,
Froide neige de morts, où nulle plante verte,
        Nulle fleur ne germait ;
Que ce sol n’était fait que de poussière d’homme,
Et qu’un peuple à remplir Thèbes, Palmyre et Rome
        Était là qui dormait.

Une ombre, dos voûté, front penché, dans la brise
Passa. C’était bien LUI, la redingote grise
        Et le petit chapeau.
Un aigle d’or planait sur sa tête sacrée,
Cherchant, pour s’y poser, inquiète effarée,
        Un bâton de drapeau.

Les squelettes tâchaient de rajuster leurs têtes,
Le spectre du tambour agitait ses baguettes
        A son pas souverain ;