Page:Gautier - Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
AUTOBIOGRAPHIE

qui n’en était pas moins adroit. À ma première étude il me trouva plein de « chic, » accusation au moins prématurée. La scène si bien racontée dans l’Affaire Clémenceau se joua aussi pour moi sur la table de pose, et le premier modèle de femme ne me parut pas beau et me désappointa singulièrement, tant l’art ajoute à la nature la plus parfaite. C’était cependant une très-jolie fille, dont j’appréciai plus tard, par comparaison, les lignes élégantes et pures mais d’après cette impression, j’ai toujours préféré la statue à la femme et le marbre à la chair. Mes études de peinture me firent apercevoir d’un défaut que j’ignorais, c’est que j’avais la vue basse. Quand j’étais au premier rang, cela allait bien, mais quand le tirage des places reléguait mon chevalet au fond de la salle, je n’ébauchais plus que des masses confuses.

Je demeurais alors avec mes parents à la place Royale, no 8, dans l’angle de la rangée d’arcades où se trouvait la mairie. Si je note ce détail, ce n’est pas pour indiquer à l’avenir une de mes demeures. Je ne suis pas de ceux dont la postérité signalera les maisons avec un buste ou une plaque de marbre. Mais cette circonstance influa beaucoup sur la direction de ma vie. Victor Hugo, quelque temps après la révolution de Juillet, était venu loger à la place Royale, au no 6, dans la maison en retour d’équerre. On pouvait se parler d’une fenêtre à l’autre. J’avais été présenté à Hugo, rue Jean Goujon, par Gérard et Pétrus Borel, le licanthrope, Dieu sait avec quels tremblements et quelles angoisses ! Je restai plus d’une heure assis sur les marches de l’escalier avec mes deux cornacs, les priant d’attendre que je fusse un peu remis.