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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

pour le café, qui lui fit tant de mal et le tua peut-être, quoiqu’il fût organisé pour devenir centenaire.

Balzac avait-il tort ou raison ? Le tabac, comme il le prétendait, est-il un poison mortel et intoxique-t-il ceux qu’il n’abrutit pas ? Est-ce l’opium de l’Occident, l’endormeur de la volonté et de l’intelligence ? C’est une question que nous ne saurions résoudre ; mais nous allons rassembler ici les noms de quelques personnages célèbres de ce siècle, dont les uns fumaient et les autres ne fumaient pas : Gœthe, Henri Heine, abstention singulière pour des Allemands, ne fumaient pas ; Byron fumait ; Victor Hugo ne fume pas, non plus qu’Alexandre Dumas père ; en revanche, Alfred de Musset, Eugène Sue, George Sand, Mérimée, Paul de Saint-Victor, Emile Augier, Ponsard, ont fumé et fument ; ils ne sont cependant pas précisément des imbéciles.

Cette aversion, du reste, est commune à presque tous les hommes nés avec le siècle ou un peu avant. Les marins et les soldats seuls fumaient alors ; à l’odeur de la pipe ou du cigare, les femmes s’évanouissaient : elles se sont bien aguerries depuis, et plus d’une lèvre rose presse avec amour le bout doré d’un puro, dans le boudoir changé en tabagie. Les douairières et les mères à turban ont seules conservé leur vieille antipathie, et voient stoïquement leurs salons réfractaires désertés par la jeunesse.

Toutes les fois que Balzac est obligé, pour la vraisemblance du récit, de laisser un de ses personnages s’adonner à cet habitude horrible, sa phrase brève et dédaigneuse trahit un secret blâme : « Quant à de Marsay, dit-il, il était occupé à fumer ses cigares. » Et il faut qu’il aime bien ce condottiere du dandysme, pour lui permettre de fumer dans son œuvre.

Une femme délicate et petite-maîtresse avait sans doute