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LÉON GOZLAN.

dans un fauteuil à le produire sur la scène après les mutilations demandées par les directeurs et les concessions nécessaires faites aux philistins du parterre et des loges. Il s’obstina et fit bien. La Main droite et la Main gauche fut un des grands succès de l’Odéon et prouva, malgré l’opinion des charpentiers dramatiques, qu’un romancier pouvait faire une pièce. Son répertoire est assez nombreux, et une petite pièce, Une tempête dans un verre d’eau, paraît souvent sur l’affiche du Théâtre-Français.

Le Lion empaillé fut joyeusement accueilli aux Variétés. Mais, quoiqu’il ait obtenu de véritables et fructueux succès sur diverses scènes, nous aimons mieux le Gozian du livre et du journal que celui du théâtre. Il était de sa nature ce qu’on appelle, dans le jargon moderne, un paroxyste, c’est-à-dire un tempérament poussant tout au paroxysme et à l’outrance, le paradoxe, la fantaisie, le style, la couleur, l’esprit. Il trouvait tout froid, tout plat, tout insipide et sans relief, et, avec une énergie incroyable, il haussait le diapason naturel des choses et écrivait sur des portées impossibles pour tout autre. Dût-on nous taxer de marinisme et de « gongorismee, » nous avouons que cette recherche extrême et pleine de trouvailles nous va mieux que les idées communes coulées comme une pâte baveuse dans le gaufrier du lieu commun.

Mais c’est assez de littérature comme cela, toute analyse critique est superflue, sinon déplacée. Ce qu’il y a de sûr, c’est que nous ne reverrons plus l’homme que nous avons coudoyé pendant trente ans, avec qui nous étions en sympathie d’idées, que nous rencontrions au foyer des théâtres, aux réunions et aux dîners intimes, et qui faisait partie de l’ordre du Cheval rouge, institué par Balzac pour réaliser dans la vie les merveilles de l’association