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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Si nous avons raconté cette anecdote, ce n’est pas parce qu’elle est flatteuse pour nous, mais parce qu’elle honore Balzac, qui, déjà illustre, faisait chercher un jeune écrivain obscur, débutant d’hier, et l’associait à ses travaux sur un pied de camaraderie et d’égalité parfaites. En ce temps, il est vrai, Balzac n’était pas encore l’auteur de la Comédie humaine, mais il avait fait, outre plusieurs nouvelles, la Physiologie du Mariage, la Peau de chagrin, Louis Lambert, Seraphita, Eugénie Grandet, l’Histoire des Treize, le Médecin de Campagne, le Père Goriot, c’est-à-dire, en temps ordinaire, de quoi fonder cinq ou six réputations. Sa gloire naissante, renforcée chaque mois de nouveaux rayons, brillait de toutes les splendeurs de l’aurore ; et certes il fallait un vif éclat pour luire sur ce ciel où éclataient à la fois Lamartine, Victor Hugo, de Vigny, de Musset, Sainte-Beuve, Alexandre Dumas, Mérimée, George Sand, et tant d’autres encore ; mais à aucune époque de sa vie Balzac ne se posa en grand Lama littéraire, et il fut toujours bon compagnon ; il avait de l’orgueil, mais était entièrement dénué de vanité.

Il demeurait en ce temps-là au bout du Luxembourg, près de l’Observatoire, dans une petite rue peu fréquentée baptisée du nom de Cassini, sans doute à cause du voisinage astronomique. Sur le mur du jardin qui en occupait presque tout un côté, et au bout duquel se trouvait le pavillon habité par Balzac, on lisait : l’Absolu, marchand de briques. Cette enseigne bizarre, qui subsiste encore, si nous ne nous trompons, nous frappa beaucoup ; la Recherche de l’absolu n’eut peut-être pas d’autre point de départ. Ce nom fatidique a probablement suggéré à l’auteur l’idée de Balthasar Claës au pourchas de son rêve impossible.

Quand nous le vîmes pour la première fois, Balzac,