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HONORÉ DE BALZAC.

plurent pas tout d’abord, — les analyses philosophiques, les peintures détaillées de caractères, les descriptions d’une minutie qui semble avoir en vue l’avenir, étaient regardées comme des longueurs lâcheuses, et le plus souvent on les passait pour courir à la fable. Plus tard, on reconnut que le but de l’auteur n’était pas de tisser des intrigues plus ou moins bien ourdies, mais de peindre la société dans son ensemble du sommet à la base, avec son personnel et son mobilier, et l’on admira l’immense variété de ses types. N’est-ce pas Alexandre Dumas qui disait de Shakspeare : « Shakspeare, l’homme qui a le plus créé après Dieu ; » le mot serait encore plus juste appliqué à Balzac ; jamais, en effet, tant de créatures vivantes ne sortirent d’un cerveau hurhain.

Dès cette époque (1856), Balzac avait conçu le plan de sa Comédie humaine et possédait la pleine conscience de son génie. Il rattacha adroitement les œuvres déjà parues à son idée générale et leur trouva place dans des catégories philosophiquement tracées. Quelques nouvelles de pure fantaisie ne s’y raccrochent pas trop bien, malgré les agrafes ajoutées après coup ; mais ce sont là des détails qui se perdent dans l’immensité de l’ensemble, comme des ornements d’un autre style dans un édifice grandiose.

Nous avons dit que Balzac travaillait péniblement, et, fondeur obstiné, rejetait dix ou douze fois au creuset le métal qui n’avait pas rempli exactement le moule ; comme Bernard Palissy, il eût brûlé les meubles, le plancher et jusqu’aux poutres de sa maison pour entretenir le feu de son fourneau et ne pas manquer l’expérience ; les nécessités les plus dures ne lui firent jamais livrer une œuvre sur laquelle il n’eût pas mis le dernier effort, et il donna d’admirables exemples de conscience littéraire. Ses corrections, si nombreuses qu’elles