Page:Gautier - Portraits du XIXe siècle, Poëtes et romanciers.djvu/283

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Nazarille est par trop Protée ; il est par trop insaisissable pour avoir pu être saisi durablement par l’imagination du public. De plus, Ourliac n’a pas eu à son service un dessinateur puissant qui ait fixé sur le papier, qui ait rendu populaires les traits matériels de son Nazarille. Et voilà pourquoi Robert Macaire et Joseph Prudhomme, qui lui sont très inférieurs, ont subsisté pendant qu’on l’oubliait.

« Contes de la vie réelle, » tel est le titre que je proposerais pour une seconde série des Nouvelles d’Ourliac, qui, comme la première, n’appartiendrait pas tout entière à la période chrétienne de sa vie littéraire. J’y placerais Schérer l’Invalide, l’Ermite de la Forêt-Noire, Hubert Talbot, les Garnaches, Thérèse, Collinet, une Anecdote littéraire. Parmi ces œuvres, dont quelques-unes sont déjà franchement religieuses, il en est dont la lecture est malsaine et qu’on ne saurait mettre en toutes les mains. Mais on ne peut disconvenir qu’il n’y ait dans tous ces petits romans la marque d’un talent primesautier et plein de verdeur. Schérer l’Invalide est peut-être un chef-d’œuvre. C’est la lamentable histoire de deux aventurières, mère et fille : la plus jeune, pour se donner une contenance dans le monde, épouse un vieil invalide qu’elle voit pour la première fois à la mairie, et qu’on écarte ensuite du logis nuptial où il ne doit jamais entrer. Ce Schérer, d’ailleurs, est un ivrogne, une âme vile et plate, qui n’excite aucune sympathie. En sorte que, dans ce conte à la Courbet, il n’y a pas en réalité un seul personnage qui représente l’idéal et qui intéresse le lecteur. Ce ne sont qu’infamies et infâmes. Le talent d’Ourliac était lancé dans une vilaine voie. Il prenait énergiquement le chemin du réalisme : par bonheur il ne l’a pas suivi. Mais il