Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/116

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villes passent, les villages s’envolent, les horizons se succèdent, les Vosges disparaissent derrière les ombres du soir, et vous voilà à Strasbourg ; à peine si vos amis de Paris ont eu le temps de retourner un journal, de faire une ou deux visites, de dîner et d’entrer au théâtre.

Tout le monde connaît Strasbourg, et nous n’avons nulle envie de le décrire ; c’est pourtant une ville déjà bien allemande, quoique toute Française de cœur : à son cachet profondément germanique, on la croirait plutôt au delà qu’en deçà du Rhin. La plupart de ses maisons ont conservé le grand toit primitif, à plusieurs étages de lucarnes où les cigognes aiment à revenir. Les enseignes parlent deux langues, comme celles de Bayonne, et les rues portent des noms bizarrement poétiques, la rue de la Nuée-Bleue par exemple.

Après un excellent souper à l’hôtel de Paris, — un vrai palais ! — quoiqu’il fût près d’une heure du matin, nous allâmes mettre notre carte chez notre vieil ami le Munster. On ne pouvait que distinguer confusément sa masse ; mais son énormité, dégagée de détails, n’en était que plus sensible. La flèche escaladait le ciel avec une ardeur de foi incroyable, et la base semblait dire : « Pourquoi ne m’a-t-on pas chargée de quelques