Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/12

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risienne avait tout dévoré ; il fallait faire garder à la cuisine les omelettes dans la poêle par quatre marmitons et même par quatre fusiliers, et autres facéties de ce genre. Des buffets avaient été emportés d’assaut à la gare, des convois de vivres pillés. Nous étions résigné d’avance à manger le caoutchouc de nos bretelles, le cuir de nos brodequins, la paille de notre chapeau, selon le menu ordinaire de l’Histoire des naufrages. Trois voyages en Espagne nous ont habitué à la sobriété, et le manque de nourriture aurait été pour nous un sujet d’élégie.

Si vous voulez voir Saint-Pierre de Caen dans toute sa beauté, il faut vous placer de l’autre côté du ruisseau qui baigne son chevet. C’est là que s’assoient les aquarellistes, sur une pierre du quai. De cet endroit, la vue se compose admirablement bien ; vous avez à gauche un pont à voûte surbaissée où s’appuient des maisons ou plutôt des baraques chancelantes, irrégulières, à étages surplombants, à toits désordonnés, dont les lignes rompues font ressortir l’élégante architecture de l’église. Le cours du ruisseau, obstrué de pierres, de tessons, de plantes aquatiques, d’oseraies qui ont pris racine sur la berge, forme un premier plan arrangé à souhait ; à droite s’affaissent quelques vieilles maisons lézardées.