Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/178

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dréa Riccio ; des deux puits de bronze ornés d’arabesques et de figures, par Niccolo dei Conti, et de toutes les merveilles du Cortile, ni de la gueule de lion, qui, dépouillée maintenant de ses terreurs mystérieuses, ressemble à s’y tromper à une boîte aux lettres, ni du conseil des Dix ni des seigneurs de la nuit, ni de tout cet attirail de francs-juges et d’inquisiteurs dont la République sérénissime aimait à s’entourer ; d’ailleurs, la domination autrichienne a remplacé tout cela, et, maintenant, c’est un officier allemand, un tedesco, qui épouse la mer. Et pourtant rien n’est changé à Venise ; car, c’est une chose digne de remarque, en Italie, on n’a rien bâti depuis trois cents ans ; la ville a conservé sa physionomie du xve siècle ; pas une construction nouvelle ne vient faire dissonance. Ce luxe des habitations fait un singulier contraste avec la misère des habitants. Ce sont des résidences royales occupées par des gueux. C’est comme si une famille ruinée était forcée, faute de se pouvoir loger ailleurs, de garder la maison de ses pères jadis riches, et de courir en guenilles et nu-pieds par les beaux appartements dorés et couverts de tableaux. Le confort est ce qui manque absolument à Venise, ville bâtie dans un autre temps, pour d’autres mœurs et d’autres usages. Les mœurs et les usages s’en sont allés ; la ville reste ;