Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/249

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le mépris de tous les partisans du progrès et de l’utilité ? Commodément assis sur les coussins élastiques d’un large wagon, nous regrettions un peu l’ancien correo avec ses dix mules attelées deux par deux, son delantero qui ne quittait pas la selle de Bayonne à Madrid, son zagal courant à pied le long de l’attelage et jetant des cailloux aux bêtes paresseuses, son mayoral fier de sa veste aux coudes bariolés, ses escopeteros juchés sur l’impériale et mettant bien leurs tromblons en évidence, son perpétuel carillon de grelots, son bruissement de ferraille et sa mousqueterie de coups de fouet. On pardonnera, nous l’espérons, ces sentiments rétrogrades à un vieux romantique de 1830, amoureux fou de couleur locale, qui a vu l’Espagne lorsque la guerre civile finissait à peine et qu’il y avait peut-être un certain péril à vérifier par ses propres yeux l’exactitude d’Hernani, et de Don Paëz.

Cette impression d’ailleurs dura peu. L’étrange beauté des sites que traversait la voie ferrée l’effaça bien vite, et la hardiesse de ce travail surhumain remplaça par une légitime solidarité d’orgueil les vieilles rêveries poétiques.

Un passait à travers des vallées dont les pentes boisées gardaient, malgré les feux de l’été, une fraîcheur