Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’aux portes de la ville. « D’où les Madrilènes tirent-ils leur nourriture ? se dit l’étranger, non sans quelque inquiétude, en face de cette aridité absolue. Je suis peut-être imprudent d’amener un convive de plus à ce maigre banquet, moi que le ciel n’a pas doué de la proverbiale sobriété espagnole. » Nous ne savons pas comment s’opère le miracle et comment ces cailloux se changent en biftecks. Toujours est-il qu’on mange à Madrid, et même beaucoup mieux que ne le prétendent les touristes de l’espèce plaintive et grognonne, qui jugent un pays sur une omelette dont le beurre est un peu rance.

Nous étions arrivés. Le colossal palais de la reine regardait toujours du haut de ses terrasses la sierra de Guadarrama, et le bon Manzanarès, notre vieil ami, ne s’était pas accru d’une goutte d’eau pendant notre absence. Mais brisons là : les Madrilènes sont fort chatouilleux à l’endroit de leur fleuve, et regardent comme une injure personnelle la moindre plaisanterie à ce sujet. Ne nous faisons pas d’ennemis. Les calesins à grandes roues écarlates, à caisse peinturlurée d’Amours et d’attributs mythologiques, ayant disparu depuis longtemps devant « le progrès des lumières, » nous grimpâmes dans une espèce de citadine à l’instar de