Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/303

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coulant au fond d’une déchirure hérissée de roches noirâtres, décrit une courbe et embrasse la ville comme le Rummel embrasse Constantine. Deux vieux ponts superbes, le pont d’Alcantara et celui de Saint-Martin, relient la ville, située sur son sommet isolé, aux campagnes environnantes. En traversant le pont d’Alcantara, qui se présente à vous lorsqu’on vient de Madrid, la guitare de « Gastibelza, l’homme à la carabine, » vous revient en mémoire avec l’air de Monpou, et l’on se surprend à fredonner d’une voix plus ou moins fausse :

Vraiment, la reine eût près d’elle été laide
Quand, vers le soir,
Elle passait, sur le pont de Tolède,
En corset noir.

Mais sur quel pont passait doña Sabine ? Était-ce le pont d’Alcantara ou le pont de Saint-Martin ? Problème difficile à résoudre et bien fait pour occuper la rêverie d’un voyageur. Nous penchons pour le pont d’Alcantara, il est le plus fréquenté. Doña Sabine était coquette, puisqu’elle s’est enfuie avec le comte de Saldagne, séduite par un anneau d’or, par un bijou. Il est peu probable qu’elle eût choisi pour sa promenade du soir le pont de Saint-Martin, qui ne mène qu’à la sierra de Guadalupe.