Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/315

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des touristes et rattacher au réseau de la circulation générale. De la gare, on aperçoit à quelque distance Avila, serrée dans son corset de murailles et coiffée de sa couronne de tours. C’est ainsi qu’elle apparaissait il y a déjà bien des siècles aux hommes vêtus de buffle ou bardés de fer, qui chevauchaient par les âpres sentiers de la montagne. Son aspect n’est changé en rien. Aucune retouche moderne ne l’a gâtée, elle présente toujours la physionomie intacte d’une ville du moyen âge. C’est une chose étrange que de voir se dresser ainsi en plein soleil le spectre du Passé et que de se promener dans le décor resté en place où des acteurs disparus ont joué le drame de la vie avec des passions et des croyances si différentes des nôtres. On y marche comme en un rêve sans être sûr de son identité, et il semble qu’au tournant d’une rue on va rencontrer un cortége de chevaliers armés de pied en cap, roides sur leurs hautes selles et laissant voir par leurs visières entr’ouvertes des figures pareilles à celles des guerriers de marbre couchés sur les tombeaux des cathédrales. Cette sensation bizarre, Avila vous la donne dans toute son intensité et sa poésie. C’est la plus forte, à notre avis, que puisse procurer le voyage : vous étiez sorti de votre pays ; elle vous