Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/32

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Que de travaux il a fallu pour solidifier ce terrain mouvant où les pilotis s’enfoncent par leur propre poids, où les pierres descendent et disparaissent dans la vase tourbeuse ! L’eau filtre sous cette croûte molle incapable de supporter la charge du ballast, des rails et des locomotives. À un certain endroit, trois ponts se sont affaissés successivement l’un sous l’autre, faisant jaillir la terre détrempée autour d’eux ; mais rien n’est impossible à l’industrie moderne : les ponts enfouis, avec leurs étages d’arcades noyées, ont servi de substruction à la voie définitive, et la pesante machine suivie de sa queue de wagons passe sans péril là où se fût embourbée la plus légère charrette.

Il est vrai que, pour éviter les tassements, on modère l’allure dans toute cette partie du chemin, et que l’on ne va guère plus vite qu’en chaise de poste. Qui eût dit, il y a vingt-cinq ans, qu’un jour on emploierait le mot poste pour donner une idée de lenteur ?

Aux approches de l’automne, le marais, comme on l’appelle, se peuple de canards, de grèbes, de bécassines, de courlis et autres oiseaux aquatiques, qui s’abattent là par nuées innombrables. Les chasseurs s’en donnent à cœur joie, et ne regrettent ni les chutes jusqu’au col dans les flaques masquées de lentilles d’eau, ni les