Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/327

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même chose : le chemin est une merveille qu’on ne saurait trop louer ; mais l’esprit humain s’accoutume si vite aux prodiges de la science moderne, qu’il paraît tout naturel de franchir au vol de la locomotive des cimes où le pied du chasseur d’aigle hésiterait. Et puis, il faut le dire, les wagons sont construits de manière à borner la vue et à empêcher de saisir les étonnants travaux sur lesquels on passe avec la rapidité de l’éclair. Les viaducs ne s’aperçoivent pas ou ne sont sensibles que par l’abîme soudain creusé entre deux montagnes que relie leur suite d’arches audacieuses superposées comme celles du pont du Gard. On est englouti par la gueule noire des tunnels sans qu’on ait pu voir leur arcade sombre se découper sur le flanc du roc. La hauteur des tranchées qui coupent une crête en deux, l’entassement énorme du remblai, faisant d’un gouffre une plaine, vous échappent également. Il faudrait que les wagons, disposés comme des salons et non comme des diligences perfectionnées roulant sur des rails, eussent à leur extrémité une plate-forme entourée de balustrades d’où l’on pût embrasser l’horizon et apprécier les détails du chemin. Entre Avila et Madrid se trouvent d’immenses travaux d’art qu’imposait la nécessité de franchir la sierra de Guadarrama. Quand les bons ma-