Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/64

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brusquement comme un énorme bloc erratique, débris de quelque commotion anté-diluvienne, au milieu de cette immensité plate uniformément teintée de gris. Rien n’est plus surprenant que l’aspect de cette roche soudaine qui ne se rattache à aucune chaîne de montagnes et perce comme une pointe d’ossement l’épiderme de la planète. Elle a, dit-on, cinquante mètres de haut, sans compter ce qu’y ajoutent les édifices auxquels elle sert de substruction, et dont à cette distance on la distingue à peine.

Toute la journée, le temps s’était montré assez maussade ; un vent froid avait glacé la pluie en l’air, et il tombait par rafales un grésil mêlé de neige qui suffisait pour rehausser de blanc toutes les anfractuosités et saillies du mont Saint-Michel, lavé de ces teintes neutres d’un gris violâtre dont se servent les peintres pour préparer leurs aquarelles. La crête des remparts, les toits des maisons, les aiguilles et les contre-forts de l’abbaye se détachaient par touches vives de ce fond vaporeux, et accusaient la présence de détails qu’on n’eût pas discernés du point où nous étions sans cet artifice de la nature.

L’isolement de cette masse préoccupe l’œil, qui du rivage s’y reporte toujours comme malgré lui. Un peu plus