Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/72

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écume le terre-plein de la cabane où nous nous étions réfugié, chassé du musoir par un tourbillon de neige d’une violence extraordinaire.

Un peu réchauffé, nous reprîmes notre poste d’observation et nous assistâmes à un spectacle des plus singuliers, à l’occultation subite et complète du mont Saint-Michel, qui était pourtant bien là devant nous, à quinze cents mètres environ, et qui disparut comme si le géant Micromégas l’avait pris sous son bras et emporté dans Sirius. — Plus de montagne, plus de forteresse, plus d’abbaye, rien ! Jamais changement à vue dans un opéra n’eut lieu avec une prestesse plus magique. Au coup de sifflet du vent, les machinistes de la tempête avaient fait monter du sein des eaux un brouillard et descendre du ciel un nuage qui masquaient le rocher de la base au sommet. L’éclipse dura quelques minutes, et le mont Saint-Michel in periculo maris reparut majestueusement et comme habitué à ces colossales facéties de la nature : montagne tout à l’heure, il était île maintenant.

La nuit s’approchait et le froid devenait de plus en plus pénétrant ; la marée avait atteint à peu près son niveau, et nous revînmes à Pontorson, où notre dîner nous attendait, songeant aux admirables spectacles qui