Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/80

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la tour Marilland, dont le pied s’engage dans la roche, et la tour Claudine, qui se suspend au plateau sur lequel s’élève l’abbaye.

On suit le terre-plein de ces épaisses murailles d’où ruisselaient jadis sur les assaillants le plomb fondu, l’huile et la poix bouillantes, et qui n’ont plus l’air de se souvenir de leur passé héroïque. Elles ne servent plus qu’à préserver du froid les jardinets des maisons dans lesquels le regard plonge comme sur une vue cavalière, et à décorer pittoresquement le flanc de la montagne, justification d’existence bien suffisante.

C’est un spectacle amusant que ce tumulte de bâtisses cherchant leur assiette sur un sol inégal, que ces pans de murs entremêlés de roches, que ces toits dont les cheminées fument sous vos pieds et ces courtils semblables à des puits. Ces petits jardins abrités du vent, chauffés à la réverbération solaire de la roche engraissés par la tangue, qu’ils n’ont qu’à se baisser pour prendre, contiennent des plantes et des arbres qu’on croirait ne pouvoir pousser que dans un climat plus chaud et sous un ciel plus clément. L’amandier s’y couvre prématurément de sa neige odorante, le figuier y vient à bien, et nous y pûmes cueillir une branche de laurier-rose qui affleurait le rempart et semblait solli-