Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/138

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ordinaire. La duchesse était vêtue d’une robe en velours grenat foncé, avec de grands volants de point d’Angleterre, et une baguette de diamants au corsage. D’une main distraite elle s’envoyait de temps à autre à la figure quelques ondes d’air frais au moyen d’un large éventail dont la feuille avait été peinte par Watteau, tout en parlant aux groupes qui venaient lui rendre leurs devoirs. En faisant ce manège, elle avait fort grand air. Elle échangea quelques phrases avec ma mère, qui me présenta à elle, et comme je m’inclinais, elle effleura mon front de ses lèvres froides et me dit : « Allez, mignonne, et surtout ne manquez pas une seule contredanse. »

Cette cérémonie accomplie, nous entrâmes dans le salon voisin, d’où l’on débouchait dans la salle de danse. Sur le damas rouge des parois, dans des cadres magnifiques et de l’époque des peintures, ressortaient des portraits de famille qui n’étaient pas mis là par orgueil nobiliaire, mais seulement comme chefs-d’œuvre d’art. Il y en avait de Clouet, de Porbus, de Van Dyck, de Philippe de Champagne, de Largillière, tous dignes de la tribune d’un musée. Ce qui me plaisait dans le luxe de cette maison, c’est que rien n’y semblait récent. Les peintures, les ors, les damas, les brocarts, sans être fanés, étaient éteints et n’agaçaient pas les yeux par l’éclat criard de la nouveauté. On sentait que cette richesse était