Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

distraction, dont Guy s’était payé d’abord, ne pouvait guère être prise au sérieux. Les sentiments de l’âme passent par le contrôle de l’esprit avant de se fixer sur le papier, et d’ailleurs ils ne vont pas s’y rédiger d’eux-mêmes pendant que le cerveau rêve à autre chose ; il fallait qu’une influence qu’il ne pouvait définir se fût emparée de lui pendant qu’il était absent de lui-même et eût agi à sa place, car il était bien sûr, maintenant qu’il y réfléchissait, de n’avoir pas dormi une seule minute ; toute la soirée il avait été paresseux, somnolent, engourdi par une torpeur de bien-être, mais à ce moment-là il était parfaitement éveillé. L’alternative contrariante d’aller chez Mme  d’Ymbercourt ou de lui écrire un billet pour se dégager de l’invitation lui donnait même une certaine surexcitation fébrile : ces lignes qui résumaient son idée secrète d’une façon si juste et plus nettement qu’il ne se l’était encore avoué, étaient dues à une intervention qu’il fallait bien qualifier de surnaturelle jusqu’à ce que l’analyse l’eût expliquée ou lui eût donné un autre titre.

Pendant que Guy de Malivert remuait ces questions dans sa tête, la voiture roulait par les rues, que le froid et la neige rendaient plus désertes qu’elles ne l’eussent été dans ces quartiers élégants et riches où la vie nocturne ne s’arrête que fort tard. La place de la Concorde, la rue de Ri-