Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/45

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jusqu’à onze heures, il se fit habiller, et, pour prendre un peu d’exercice, il se donna le but d’aller à pied déjeuner au café Bignon. Une gelée matinale avait durci la neige de la nuit, et en traversant les Tuileries, Malivert prit plaisir à voir les statues mythologiques poudrées à blanc et les grands marronniers tout couverts d’une peluche argentée. Il déjeuna bien et délicatement, en homme qui veut réparer une veille fatigante, et il causa gaiement avec des compagnons joyeux, la fine fleur de l’esprit et du scepticisme parisien, et qui avaient adopté pour devise la maxime grecque : « Souviens-toi de ne pas croire. » Pourtant, aux plaisanteries par trop vives, Guy souriait d’un air un peu contraint. Il ne s’abandonnait pas avec une pleine franchise aux paradoxes d’incrédulité et aux fanfaronnades de cynisme. La phrase du baron de Féroë : « Les esprits ont l’œil sur vous, » lui revenait involontairement, et il lui semblait qu’il y avait derrière lui un témoin d’une nature mystérieuse. Il se leva, salua de la main les causeurs et fit quelques tours sur ce boulevard où passe en un jour plus d’esprit qu’il n’en circule en un an dans tout le reste du globe, et, le trouvant un peu désert à cause du froid et de l’heure, il tourna machinalement l’angle de la rue de la Chaussée-d’Antin. Il fut bientôt devant la maison de Mme d’Ymbercourt. Comme il allait tirer le bouton de la porte, il crut sentir un souffle à son oreille,