Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/73

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décadence vénitienne, et comme on en rencontre encore quelques-uns chez les marchands de bric-à-brac du Ghetto. La glace à biseau était encadrée d’ornements de cristal taillé, et surmontée d’un fouillis de rinceaux et de fleurs de la même matière qui, sur la teinte unie du fond, tantôt prenaient l’apparence de l’argent mat, tantôt lançaient par leurs facettes des éclairs prismatiques. Au milieu de ce scintillement, la glace, de petite dimension comme tous les miroirs de Venise, paraissait d’un noir bleuâtre, indéfiniment profond, et ressemblait à une ouverture pratiquée sur un vide rempli d’idéales ténèbres.

Chose bizarre, aucun des objets opposés ne s’y réfléchissait : on eût dit une de ces glaces de théâtre que le décorateur couvre de teintes vagues et neutres pour empêcher la salle de s’y refléter.

Un vague instinct faisait pressentir à Malivert que, si quelque révélation devait avoir lieu cette nuit, elle se ferait par ce moyen. Le miroir, sur lequel ordinairement il ne jetait jamais les yeux, exerçait sur lui une sorte de fascination et absorbait invinciblement son regard. Mais avec quelque fixité qu’il attachât sa vue sur ce point, il ne distinguait rien que ce noir dont les baguettes de cristal faisaient encore ressortir l’intensité mystérieuse. Enfin il crut démêler dans cette ombre comme une vague blancheur laiteuse, comme une sorte de lueur lointaine et tremblotante qui