Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/81

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une surprise mêlée de ravissement un voile plus fin que les plus légères étoffes, de l’air tramé, du vent tissu, qui passait sur son visage comme une caresse et séchait, en les buvant, les gouttes amères. Le frôlement d’aile d’une libellule n’eût pas été plus délicat. Ce n’était pas une illusion, car le contact s’était renouvelé trois fois, et, ses larmes taries, Malivert crut voir se fondre dans l’ombre, comme un petit nuage dans le ciel, un diaphane flocon blanc.

À cette attentive et tendre sympathie, Malivert ne put douter que Spirite, qui semblait toujours voltiger invisible autour de lui, ne répondît à son appel et ne trouvât avec sa lucidité d’être supérieur des moyens faciles de correspondance. Spirite pouvait venir dans le monde qu’il habitait, du moins autant qu’une âme peut se mêler à des vivants, et il lui était interdit, à lui mortel, par les empêchements et les pesanteurs de la chair, de la poursuivre dans le milieu idéal où elle se mouvait. En disant que Malivert passa du plus sombre désespoir à la joie la plus pure, nous ne surprendrons personne. Si une simple mortelle dix fois en un jour vous précipite aux enfers et vous fait remonter aux cieux, vous inspirant tour à tour l’idée d’aller vous brûler la cervelle ou d’acheter au bord du lac de Côme une villa pour y abriter éternellement votre bonheur, vous pensez bien que les émotions produites par un esprit doivent être encore d’une autre violence.