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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/88

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rapports si vagues, si frêles, si aériens, si impalpables, le rôle de Malivert était nécessairement passif. Son idéale maîtresse pouvait à chaque instant faire irruption dans son monde, et, lui, était incapable de la suivre dans les espaces imaginaires qu’elle habitait.

Il avait neigé l’avant-veille. Chose rare à Paris, la blanche nappe ne s’était pas fondue, sous l’influence d’un vent tiède, en cette froide bouillie plus horrible encore que la boue noire du vieux pavé et que la fange jaune du nouveau macadam ; un froid vif l’avait cristallisée, et elle criait comme du verre pilé sous les roues des voitures et les semelles des piétons. Grymalkin était beau trotteur, et Malivert avait rapporté de Saint-Pétersbourg un traîneau et un harnachement russe complet. Les occasions de traînage ne sont pas fréquentes dans notre climat tempéré et les sportsmen les saisissent avec enthousiasme. Guy avait l’amour-propre de son traîneau, le plus correctement tenu certes qui fût à Paris, et qui aurait pu paraître avec honneur aux courses sur la place de la Néva. Cette course rapide dans un air salubrement glacé lui souriait. Il avait appris, pendant un hiver rigoureux passé en Russie, à savourer les voluptés septentrionales de la neige et du froid ; il aimait à glisser sur le tapis blanc à peine rayé par l’acier des patins, conduisant des deux mains comme les ivoschtchiks un cheval