Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/98

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Guy put voir pendant quelques secondes le visage de la fausse Russe, dont le vent soulevait la voilette. Un sourire d’une malice céleste errait sur ses lèvres, dont les sinuosités formaient l’arc tracé par la bouche de Monna Lisa. Ses yeux étoilaient et bleuissaient comme des saphirs, et une vapeur un peu plus rose colorait ses joues veloutées. Spirite, c’était bien elle, baissa son voile, et le cocher excita sa bête, qui s’élança en avant avec une impétuosité terrible. Guy poussa un cri d’épouvante, car au même moment une grande berline traversait le chemin, et, oubliant que Spirite était un être immatériel à, l’abri de tous les accidents terrestres, il crut à un choc épouvantable ; mais le cheval, le cocher et le traîneau passèrent à travers la voiture comme à travers un brouillard, et bientôt Malivert les perdit de vue. Grymalkin semblait effrayé ; des frissons nerveux le faisaient trembler sur ses jambes, ordinairement si fermes, comme s’il ne s’expliquait pas la disparition du traîneau. Les animaux ont des instincts d’une mystérieuse profondeur ; ils voient ce qui souvent échappe à l’œil distrait de l’homme, et on dirait que plusieurs d’entre eux possèdent le sentiment du surnaturel. Il se rassura bientôt en reprenant sur le bord du lac la file des voitures authentiques.

En descendant l’avenue de l’Impératrice, Guy rencontra le baron de Féroë qui revenait aussi du