Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/146

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aime son démon, quoiqu’il la tourmente et la fasse souvent souffrir, et elle serait bien fâchée d’en être délivrée à jamais. Rien ne distrait le poëte de son ode, le sculpteur de sa statue, le peintre de son tableau. Au milieu des plus grandes catastrophes, une rime, une forme, une couleur les occupent. Cela ne les empêche pas de se dévouer à la patrie, de faire le sacrifice de leur vie avec un parfait sang-froid, et de placer leur balle aussi à-propos qu’un franc-tireur. Mais ils voient toujours la nature à travers l’événement ; ils dégagent la beauté même de l’horreur et cherchent à transporter les faits dans la sphère de l’art.

Voyez là-bas ce garçon robuste et de belle prestance qui vient peut-être de s’engager dans un régiment de marche ; il monte sa faction au rempart ; par les créneaux des sacs de terre, il jette de temps à autre sur l’horizon suspect ce regard du peintre qui voit tout. La campagne est tranquille et il reprend sa rêverie. Une image se présente à son esprit, qu’il étend et transfigure en symbole. Une femme vêtue de noir passait, un ballon traversait l’air, un fort lançait quelques obus aux Prussiens, et de ces faits que rien ne