Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/179

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On a tellement abusé du mot artiste, que c’est à peine si l’on ose l’appliquer à quelqu’un comme éloge, dans son ancienne et favorable acception. Henri Regnault était un artiste. Il avait le don sans lequel le travail le plus opiniâtre ne conduit qu’à l’honnête médiocrité : l’imagination, la fougue, la hardiesse et cette faculté de découvrir à première vue le côté neuf et particulier des choses invisibles pour tout autre. C’était une nature, un tempérament et un esprit de peintre lettré ; d’ailleurs, homme du monde et fils de famille, qui mettait le flamboiement de l’art à un nom depuis longtemps illustre et lumineux dans la science. Comme Géricault, il aimait, connaissait et pratiquait le cheval, — on l’a bien vu par le portrait équestre du général Prim. Ses audaces de cavaliers sur des chevaux rétifs ou difficiles faisaient frémir et semblaient le prédestiner à une mort violente ; et dans tous les exercices de corps il apportait la même furie. Amateur passionné de musique, la nature, qui le gâtait, lui avait fait l’inutile cadeau d’une délicieuse voix de ténor, valant cent mille francs par saison dans un autre gosier.

Henri Regnault était de taille moyenne, d’une