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Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/243

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la terre des cuillerées de plomb fondu. Ces malheureux, amenés des portes de Paris à pied, par des hommes à cheval qui les forçaient involontairement de presser le pas, fatigués du combat, en proie à d’affreuses transes, haletants, ruisselants de sueur, n’avaient pu aller plus loin, et il avait fallu leur accorder quelques instants de repos. Leur nombre pouvait s’élever à cent cinquante ou deux cents. Ils avaient dû s’accroupir ou se coucher à terre, comme un troupeau de bœufs que leurs conducteurs arrêtent à l’entrée d’une ville.

Autour d’eux leurs gardiens formaient le cercle, accablés comme eux de chaleur, se soutenant à peine sur leurs montures immobiles et s’appuyant la poitrine au pommeau de leur selle. Le pistolet chargé semblait peser à leurs mains, et visiblement ils luttaient contre le sommeil. On n’aurait pu dire la couleur de leur uniforme, tant la couche de poussière qui le recouvrait était épaisse, et la longue lance à fer aigu, sans banderole, appliquée à leur cuisse, indiquait seule à quelle arme ils appartenaient. Toute particularité avait disparu. Ce n’était plus le soldat, c’était le guerrier pris en lui-même, le guerrier de tous les