Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/261

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si vivant, si pareil à de la chair, qu’on ose à peine y poser le pied de peur de froisser le sein d’une déesse. L’on sent alors, combien est vraie l’image du poëte s’adressant à ce bloc qui eût dû être scellé dans le fronton d’un temple attique.

Quand sur toi leur scie a grincé,
Ces tailleurs de pierre ont blessé
Quelque Vénus dormant encore,
Et la pourpre qui te colore
Te vient du sang qu’elle a versé.

Nous restâmes là quelque temps comme à un endroit sacré où le pèlerin dit sa prière, et le calme descendait sur nous ; le sentiment de l’art oublié nous reprenait ; des idées de poésie voltigeaient autour de nous en palpitant les ailes comme des bouffées de colombe.

Nous songions à la forme idéale, au rhythme divin, à l’immortelle beauté, aux nymphes et aux vierges de Grèce qui courent les pieds nus dans la rosée, couronnées de smilax et de violettes, à tous ces beaux mensonges flottant comme un voile d’or sur la nudité de la vie.

C’était là sans doute la leçon que voulait donner le poëte disparu dans la sérénité éternelle au poëte resté parmi les agitations terrestres, car