Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/45

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mer dans une tombe muette, nous murer dans un sépulcre, n’a pu mettre de couvercle à son caveau. Notre prison a pour plafond le ciel et l’on n’investit pas le ciel. La noire fourmilière des envahisseurs ne peut cerner l’azur, et l’homme délivré de l’antique pesanteur a, grâce au ballon, les ailes de l’oiseau. Hardi navigateur, il part sur son frêle esquif d’osier, traversant cette mer plus bleue encore que l’autre quand on a dépassé l’écume de nuages qui bientôt retombe à terre.

Avec l’aéronaute s’envolent aussi nos pensées, nos vœux pour les chers absents, les épanchements de nos cœurs, tout ce qu’il y a de bon, de tendre et de délicat dans l’âme humaine. Sur ce frêle papier, tel qui affecte un sourire stoïque, a laissé tomber une larme. Les reverrons-nous jamais, ceux et celles à qui nous écrivons ayant le vent pour facteur et le ballon pour boite aux lettres ? Cela dépend du caprice des boulets ou du hasard des bombes. Peut-être la tête adorée pour laquelle on trace ces petits caractères sur une pelure transparente qu’un soupir enlèverait s’est-elle inclinée pâle et faible sur l’oreiller pour ne plus se redresser jamais. Quoi de plus navrant qu’une lettre adressée à un mort! Mais