Aller au contenu

Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée




Scène 7



Pierrot.


Pierrot, sortant de la maison du docteur. –––
Je suis mort !… Arlequin disait la vérité.
La pendaison n’est pas bonne pour la santé ;
Je m’explique à présent pourquoi j’ai le teint blême.
Pauvre Pierrot, allons ! conduis ton deuil toi-même.
Mets un crêpe à ton bras, arrose-toi de pleurs,
Prononce le discours, et jette-toi des fleurs ;
Orne ton monument d’un ci-gît autographe,
Et, poète posthume, écris ton épitaphe,
Qu’y mettrai-je ?… voyons…: Ici dort étendu…
Non… ce mot fait venir la rime de pendu…
Couché vaut mieux… Pierrot… il ne fît rien qui vaille
Et vécut sans remords en parfaite canaille !
C’est plus original que bon fils, bon époux,
Bon père, et cætera, comme les morts sont tous.
Fais ta nécrologie et l’envoie aux gazettes.
Ces choses sont toujours par soi-même mieux faites.
Quel ami je m’enlève, et quel bon compagnon,
Content de mon bonheur, triste de mon guignon !
Comme je me regrette, et comme je me manque !
La douleur me pâlit, la tristesse m’efflanque,
En songeant qu’allongé dans le fond d’un trou noir,
Je ne jouirai plus du bonheur de me voir.
Quel coup ! moi qui m’étais si dévoué, si tendre,
Si plein d’attentions, si prompt à me comprendre !
Aussi, reconnaissant de mes bontés pour moi,
Je me ferai le chien de mon propre convoi ;
Et j’irai, me couchant sur ma tombe déserte,
Mourir une autre fois du chagrin de ma perte.