Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/217

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Flûtes, cors, violons, feront rage à l’orchestre ;
La Muse à talons hauts et la muse pédestre,
L’une avec son péplum dans le marbre sculpté,
L’autre avec son jupon changeant et pailleté,
Ensemble, ou tour à tour, sérieuse ou fantasque,
Montreront la pâleur ou le fard de leur masque.
Chez nous les dieux de l’art auront des trônes d’or ;
Mais nous livrons l’azur à tout puissant essor,
Et le jeune poëte, éclairé par leur gloire,
Prendra place à leurs pieds sur les marches d’ivoire.
L’Odéon, temple ouvert à tous les immortels,
Même aux dieux étrangers dressera des autels.
Le génie est pareil, si la langue est diverse,
Astre à demi voilé, l’idée éclate et perce
Sous le nuage gris de la traduction :
Pour juger de l’étoile il suffit d’un rayon.
Quand on entend Molière, et Corneille, et Racine,
Caldéron se comprend, Shakspeare se devine.
Ô poètes sacrés, ô maîtres souverains,
S’il reste encore au fond de vos riches écrins
Une perle oubliée, une pierre enfouie,
Nous la ferons briller sur la foule éblouie ;
Sans redouter l’hélas ! sans craindre le holà !
Après l’Agésilas nous jouerons l’Attila.
Pour nous l’auteur du Cid vit dans toutes ses pièces,
Et Rotrou, délaissé, tente nos hardiesses.

L’Esprit chagrin.
Tout cela serait bon dans un pays connu,
Mais aucun Mungo-Park ici n’est parvenu ;
La carte vous relègue aux zones chimériques.
J’ai vu des gens chercheurs et trouveurs d’Amériques,
Qui, l’on ne sait comment, allaient on ne sait où,
Au Kamtchatka, dans l’Inde, au diable, à Tombouctou ;
Mais je n’en ai pas vu, quel que soit leur courage,