Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/224

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Sur la poussière d’or de sa terre bénie
Homère sans chaussure, aux chemins d’Ionie
Pouvait marcher jadis avec l’antiquité,
Beau comme un marbre grec par Phidias sculpté ;
Mais Homère à Paris, sans crainte du scandale,
Un jour de pluie, eût fait recoudre sa sandale.
Ainsi faisait l’auteur d’Horace et de Cinna,
Celui que de ses mains la Muse couronna,
Le fier dessinateur, Michel-Ange du drame,
Qui peignit les Romains si grands, — d’après son âme !
Ô pauvreté sublime ! ô sacré dénûment,
Par ce cœur héroïque accepté simplement !
Louis, ce vil détail que le bon goût dédaigne,
Ce soulier recousu me gâte tout ton règne.
À ton siècle vanté de lui-même amoureux,
Je ne pardonne pas Corneille malheureux ;
Ton dais fleurdelisé cache mal cette échoppe.
De la pourpre, où ton faste à grands plis s’enveloppe,
Je voudrais prendre un pan pour Corneille vieilli,
S’éteignant loin des cours dans l’ombre et dans l’oubli.
Sur le rayonnement de toute ton histoire,
Sur l’or de tes soleils, c’est une tache noire,
Ô roi ! d’avoir laissé, toi qu’ils ont peint si beau,
Corneille sans souliers, Molière sans tombeau.
Mais pourquoi s’indigner ? — Que viennent les années,
L’équilibre se fait entre ces destinées :
Le roi rentre dans l’ombre, et le poëte en sort,
Et chacun à sa place est remis par la mort.
Pour courtisans Versaille a gardé ses statues,
Les adulations et les eaux se sont tues :
Versaille est la Palmyre où dort la royauté.
Qui des deux survivra, génie ou majesté ?
L’aube monte pour l’un, le soir descend sur l’autre.
Le spectre de Louis aux jardins de Le Nôtre