Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/263

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avec un touchant intérêt sur l’agitation qu’elle éprouve. Celle-ci, pour toute réponse, lui montre Albert accablé et confondu.

— Que vois-je ?… dit Bathilde… le duc sous ce costume… Mais c’est lui que je dois épouser… C’est mon fiancé ! ajoute-t-elle en désignant l’anneau des fiançailles qu’elle porte à son doigt.

Albert s’approche de Bathilde et veut en vain l’empêcher d’achever ce terrible aveu ; mais Giselle a tout entendu, tout compris ! La plus profonde horreur se peint sur les traits de la malheureuse enfant ; sa tête se trouble, un horrible et sombre délire s’empare d’elle en se voyant trahie, perdue, déshonorée !… Sa raison s’égare, ses larmes coulent… puis elle rit d’un rire nerveux. Elle prend la main d’Albert, la pose sur son cœur et la repousse bientôt avec effroi. Elle saisit l’épée de Loys, restée à terre, joue d’abord machinalement avec cette arme, puis va se laisser tomber sur sa pointe aiguë, quand sa mère se précipite sur elle et la lui arrache. L’amour de la danse revient à la mémoire de la pauvre enfant : elle croit entendre l’air de son pas avec Albert… Elle s’élance et se met à danser avec ardeur, avec passion. Tant de douleurs subites, tant de cruelles secousses, jointes à ce dernier effort, ont enfin épuisé ses forces mourantes. La vie semble l’abandonner… sa mère la reçoit dans ses bras… Un dernier soupir s’échappe du cœur de la pauvre Giselle, elle jette un triste regard sur Albert au désespoir, et ses yeux se ferment pour toujours !

Bathilde, bonne et généreuse, fond en larmes. Albert, oubliant tout, cherche à ranimer Giselle sous ses brûlantes caresses… Il met la main sur le cœur de la jeune fille, et s’assure avec horreur qu’il a cessé de battre.

Il saisit son épée pour s’en frapper ; le prince l’arrête et le désarme. Berthe soutient le corps de sa malheureuse fille. On entraîne Albert, fou de désespoir et d’amour.