Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/312

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lever de l’aurore, boire du lait chez le nourrisseur, et cueillir des lilas. On était au commencement de mai, qui est l’époque de ces fleurs si chères aux Parisiens, et dont ils admirent avec raison les jolis thyrses violets.

La proposition fut accueillie comme elle le méritait, et tout le bal, même les gens d’âge plus mûr, à qui le lit aurait mieux convenu qu’une course dans la rosée, partit avec des cris de joie pour les fameux prés, une des plus fraîches verdures des environs de Paris.

M. Jean offrit son bras à Mlle Jeannette, qui l’accepta, sous la sauvegarde toutefois de Mlle Justine, qui répondait de sa vertu.

Le droguiste offrit le sien à Denise, qui, tout heureuse de reprendre son captif, ne jugea pas à propos d’entrer dans des récriminations inutiles.

Le troisième clerc fut tout heureux que Nanette, la belle aux boucles de marcassite, voulût bien marcher à côté de lui, et, ainsi appareillée, la bande s’enfonça couple à couple dans les petits sentiers qui séparent les massifs odorants.

Parmi ces groupes, la plupart d’amants et de fiancés, quelques baisers, grâce aux détours des allées, avaient été pris et rendus, car ces choses-là ne se gardent pas.

M. Jean, lui, n’osa pas s’émanciper jusqu’à de telles hardiesses ; mais il serra quelquefois contre son cœur le bras de Mme de Champrosé, pour laquelle il fit la plus énorme gerbe de lilas blancs et violets que jamais grisette ait emportée des prés Saint-Gervais dans sa mansarde. Il avait renversé pour elle toute la corbeille de Flore.

C’eût été un charmant sujet de tableau pour M. Lancret, peintre des fêtes galantes, que ces groupes d’amoureux qui se perdaient exprès dans les étroites allées.