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VOYAGE EN ESPAGNE.

bouc ; ce jeune cavalier est un vieux mort, et ses chausses enrubannées enveloppent un fémur décharné et deux maigres tibias ; ― jamais il ne sortit de derrière le poêle du docteur Faust des apparitions plus mystérieusement sinistres.

Les caricatures de Goya renferment, dit-on, quelques allusions politiques, mais en petit nombre ; elles ont rapport à Godoï, à la vieille duchesse de Benavente, aux favoris de la reine, et à quelques seigneurs de la cour, dont elles stigmatisent l’ignorance ou les vices. Mais il faut bien les chercher à travers le voile épais qui les obombre. ― Goya a encore fait d’autres dessins pour la duchesse d’Albe, son amie, qui n’ont point paru, sans doute à cause de la facilité de l’application. ― Quelques-uns ont trait au fanatisme, à la gourmandise et à la stupidité des moines, les autres représentent des sujets de mœurs ou de sorcellerie.

Le portrait de Goya sert de frontispice au recueil de son œuvre. C’est un homme de cinquante ans environ, l’œil oblique et fin, recouvert d’une large paupière avec une patte-d’oie maligne et moqueuse, le menton recourbé en sabot, la lèvre supérieure mince, l’inférieure proéminente et sensuelle ; le tout encadré dans des favoris méridionaux et surmonté d’un chapeau à la Bolivar ; une physionomie caractérisée et puissante.

La première planche représente un mariage d’argent, une pauvre fille sacrifiée à un vieillard cacochyme et monstrueux par des parents avides. La mariée est charmante avec son petit loup de velours noir et sa basquine à grandes franges, car Goya rend à merveille la grâce andalouse et castillane ; les parents sont hideux de rapacité et de misère envieuse. Ils ont des airs de requin et de crocodile inimaginables ; l’enfant sourit dans des larmes, comme une pluie du mois d’avril, ce ne sont que des yeux, des griffes et des dents ; l’enivrement de la parure empêche la jeune fille de sentir encore toute l’étendue de