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VOYAGE EN ESPAGNE.

On nous établit dans une chambre au rez-de-chaussée, blanchie à la chaux, et garnie pour tout meuble d’une rosace de différentes couleurs au plafond ; mais cette chambre avait l’agrément de s’ouvrir sur un patio entouré de colonnes de marbre blanc coiffées de chapiteaux moresques provenant sans doute de la démolition de quelque ancien palais arabe. Un petit bassin à jet d’eau, creusé au milieu de la cour, y entretenait la fraîcheur ; une grande natte de sparterie, formant tendido, tamisait les rayons du jour, et semait çà et là d’étoiles de lumière le pavé en cailloutis à compartiments.

C’est là que nous prenions nos repas, que nous lisions, que nous vivions. Nous ne rentrions guère dans la chambre que pour nous habiller et dormir. Sans le patio, disposition architecturale qui rappelle l’ancien cavœdium romain, les maisons d’Andalousie ne seraient pas habitables. L’espèce de vestibule qui le précède est habituellement pavé en petits cailloux de couleurs variées, formant des dessins de mosaïque grossière, et représentant tantôt des pots de fleurs, tantôt des soldats, des croix de Malte, ou tout simplement la date de la construction.

Du haut de notre demeure, surmontée d’une espèce de mirador, l’on apercevait, sur la crête d’une colline nettement découpée dans le bleu du ciel, à travers des bouquets d’arbres, les tours massives de la forteresse de l’Alhambra revêtues par le soleil de teintes rousses d’une chaleur et d’une intensité extrêmes. La silhouette était complétée par deux grands cyprès juxtaposés, dont les pointes noires s’allongeaient dans l’azur au-dessus des murailles rouges. Ces cyprès ne se perdent jamais de vue ; soit que l’on gravisse les flancs zébrés de neige du Mulhacen, soit que l’on erre à travers la Vega ou dans la Sierra d’Elvire, toujours on les retrouve à l’horizon, sombres, immobiles dans le flot de vapeurs bleuâtres ou dorées dont l’éloignement estampe les toits de la ville.

Grenade est bâtie sur trois collines, au bout de la plaine