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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/241

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VOYAGE EN ESPAGNE.

veilleux de cette architecture de fées s’oblitèrent, se bouchent et disparaissent. Ce qui n’est plus aujourd’hui qu’une muraille vaguement vermiculée, était autrefois une dentelle découpée à jour, aussi fine que ces feuilles d’ivoire que la patience des Chinois cisèle pour les éventails. La brosse du badigeonneur a fait disparaître plus de chefs-d’œuvre que la faux du Temps, s’il nous est permis de nous servir de cette expression mythologique et surannée. Dans une salle assez bien conservée, on remarque une suite de portraits enfumés des rois d’Espagne, qui n’ont qu’un mérite chronologique.

Le véritable charme du Généralife, ce sont ses jardins et ses eaux. Un canal, revêtu de marbre, occupe toute la longueur de l’enclos, et roule ses flots abondants et rapides sous une suite d’arcades de feuillage formées par des ifs contournés et taillés bizarrement. Des orangers, des cyprès, sont plantés sur chaque bord ; au pied de l’un de ces cyprès d’une monstrueuse grosseur, et qui remonte au temps des Mores, la favorite de Boabdil, s’il faut en croire la légende, prouva souvent que les verrous et les grilles sont de minces garants de la vertu des sultanes. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’if est très gros et fort vieux.

La perspective est terminée par une galerie-portique à jets d’eau, à colonnes de marbre, comme le patio des Myrtes de l’Alhambra. Le canal fait un coude, et vous pénétrez dans d’autres enceintes ornées de pièces d’eau et dont les murs conservent des traces de fresques du XVIe siècle, représentant des architectures rustiques et des points de vue. Au milieu d’un de ces bassins s’épanouit, comme une immense corbeille, un gigantesque laurier-rose d’un éclat et d’une beauté incomparables. Au moment où je le vis, c’était comme une explosion de fleurs, comme le bouquet d’un feu d’artifice végétal ; une fraîcheur splendide et vigoureuse, presque bruyante, si ce mot peut s’appliquer à des couleurs, à faire paraître blafard le teint de la rose la plus vermeille ! Ses belles fleurs