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VOYAGE EN ESPAGNE.

ventre d’un cheval qu’il avait renversé, et tâchait d’en faire autant au cavalier abrité sous le cadavre de sa monture. Montès prit la bête farouche par la queue, et lui fit faire trois ou quatre tours de valse à son grand déplaisir et aux applaudissements frénétiques du peuple entier, ce qui donna le temps de relever le picador. Quelquefois, il se plante tout debout devant le taureau, les bras croisés, l’œil fixe, et le monstre s’arrête subitement, subjugué par ce regard clair, aigu et froid comme une lame d’épée. Alors ce sont des cris, des hurlements, des vociférations, des trépignements, des explosions de bravos dont on ne peut se faire une idée ; le délire s’empare de toutes les têtes, un vertige général agite sur les bancs les quinze mille spectateurs, ivres d’aguardiente, de soleil et de sang ; les mouchoirs s’agitent, les chapeaux sautent en l’air, et Montès, seul calme dans cette foule, savoure en silence sa joie profonde et contenue, et salue légèrement comme un homme capable de bien d’autres prouesses. Pour de pareils applaudissements, je conçois qu’on risque sa vie à chaque minute ; ils ne sont pas trop payés. Ô chanteurs au gosier d’or, danseuses au pied de fée, comédiens de tous genres, empereurs et poëtes, qui vous imaginez avoir excité l’enthousiasme, vous n’avez pas entendu applaudir Montès !

Quelquefois, les spectateurs eux-mêmes le supplient de daigner exécuter un de ces tours d’adresse dont il sort toujours vainqueur. Une jolie fille lui crie en lui jetant un baiser : Allons, señor Montès, allons, Paquirro (c’est son prénom), vous qui êtes si galant, faites quelque petite chose, una cosita, pour une dame. Et Montès saute par-dessus le taureau en lui appuyant le pied sur la tête, ou bien il lui secoue sa cape devant le mufle, et par un mouvement brusque, s’en enveloppe de façon à former une draperie élégante, aux plis irréprochables ; puis il fait un saut de côté et laisse passer la bête lancée trop fort pour se retenir.