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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/312

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VOYAGE EN ESPAGNE.

remarque les ruines d’anciennes arches d’un aqueduc arabe. La tête du pont est défendue par une grande tour carrée, crénelée et soutenue par des casemates de construction plus récente. Les portes de la ville n’étaient pas encore ouvertes ; une cohue de chariots à bœufs majestueusement coiffés de tiares en sparterie jaune et rouge, de mulets et d’ânes blancs chargés de paille hachée, de paysans à chapeaux en pain de sucre, vêtus de capas de laine brune retombant par devant et par derrière comme une chape de prêtre, et qui se mettent en passant la tête par un trou pratiqué au milieu de l’étoffe, attendaient l’heure avec le flegme et la patience ordinaires aux Espagnols, qui ne paraissent jamais pressés. Un pareil rassemblement à une barrière de Paris eût fait un vacarme horrible, et se serait répandu en invectives et en injures ; là, point d’autre bruit que le frisson d’un grelot de cuivre au collier d’une mule et le tintement argentin de la sonnette d’un âne-colonel changeant de position ou reposant sa tête sur le cou d’un confrère à longues oreilles.

Nous profitâmes de ce temps d’arrêt pour examiner à loisir l’aspect intérieur de Cordoue. Une belle porte en manière d’arc de triomphe, d’ordre ionique, et d’un si grand goût qu’on aurait pu la croire romaine, formait à la ville des califes une entrée fort majestueuse, à laquelle cependant j’aurais préféré une de ces belles arcades moresques évasées en cœur, comme on en voit à Grenade. La mosquée-cathédrale s’élevait au-dessus de l’enceinte et des toits de la ville plutôt comme une citadelle que comme un temple, avec ses hautes murailles denticulées de créneaux arabes, et le lourd dôme catholique accroupi sur sa plate-forme orientale. Il faut l’avouer, ces murailles sont badigeonnées d’une sorte de jaune assez abominable. Sans être de ceux qui aiment précisément les édifices moisis, lépreux et noirs, nous avons une horreur particulière pour cette infâme couleur potiron qui charme à un si haut degré les prêtres, les fabriques et les chapitres de