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VOYAGE EN ESPAGNE.

et comment en retrouvera-t-il les clefs au milieu du désordre général ?

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, l’ancien plafond d’Abdérame, en bois de cèdre et de mélèze, s’était conservé avec ses caissons, ses soffites, ses losanges et toutes ses magnificences orientales ; on l’a remplacé par des voûtes et des demi-coupoles d’un goût médiocre. L’ancien dallage a disparu sous un pavé de brique qui a exhaussé le sol, noyé les fûts des piliers, et rendu plus sensible encore le défaut général de l’édifice, trop bas pour son étendue.

Toutes ces profanations n’empêchent pas la mosquée de Cordoue d’être encore un des plus merveilleux monuments du monde ; et, comme pour nous faire sentir plus amèrement les mutilations du reste, une portion, que l’on appelle le Mirah, a été conservée comme par miracle dans une intégrité scrupuleuse.

Le plafond de bois sculpté et doré avec sa medianaranja constellée d’étoiles, les fenêtres découpées et garnies de grillages qui tamisent doucement le jour, la galerie de colonnettes à trèfles, les plaques de mosaïques en verres de couleur, les versets du Coran en lettres de cristal doré, qui serpentent à travers les ornements et les arabesques les plus gracieusement compliqués, forment un ensemble d’une richesse, d’une beauté, d’une élégance féerique, dont l’équivalent ne se rencontre que dans les Mille et une Nuits, et qui n’a rien à envier à aucun art. Jamais lignes ne furent mieux choisies, couleurs mieux combinées : les gothiques même, dans leurs plus fins caprices, dans leurs plus précieuses orfèvreries, ont quelque chose de souffreteux, d’émacié, de malingre, qui sent la barbarie et l’enfance de l’art. L’architecture du Mirah montre au contraire une civilisation arrivée à son plus haut développement, un art à son période culminant : au-delà, il n’y a plus que la décadence. La proportion, l’harmonie, la richesse et la grâce, rien n’y manque. De cette chapelle, l’on