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VOYAGE EN ESPAGNE.

baigne dans le Guadalquivir auprès du débarcadère, et qui s’élance dans le bleu de l’air du milieu d’une forêt de mâts et de cordages, termine heureusement la perspective de ce côté. Cette tour, que les savants prétendent être de construction romaine, se reliait autrefois à l’Alcazar par des pans de murailles que l’on a démolis pour faire place à la Cristina, et supportait, au temps des Mores, une des extrémités de la chaîne de fer qui barrait le fleuve, et dont l’autre bout allait s’attacher en face à des contreforts en maçonnerie. Le nom de Torre del Oro lui vient, dit-on, de ce qu’on y enfermait l’or apporté d’Amérique par les galions.

Nous allions là nous promener tous les soirs et regarder le soleil se coucher derrière le faubourg de Triana, situé de l’autre côté du fleuve. Un palmier du port le plus noble élevait dans l’air son disque de feuilles comme pour saluer l’astre à son déclin. J’ai toujours beaucoup aimé les palmiers et n’ai jamais pu en voir un sans me sentir transporté dans un monde poétique et patriarcal, au milieu des féeries de l’Orient et des magnificences de la Bible.

Le soir, comme pour nous ramener au sentiment de la réalité, en regardant la Calle de la Sierpe, où demeurait don César Bustamente, notre hôte, dont la femme, née à Jérès, avait les plus beaux yeux et les plus longs cheveux du monde, nous étions accostés par des gaillards très-bien mis, de la tournure la plus convenable, avec lorgnon et chaîne de montre, qui nous priaient de venir nous reposer et prendre des rafraîchissements chez des personnes muy finas, muy decentes, qui les avaient chargés de faire leurs invitations. Ces honnêtes gens semblèrent d’abord fort étonnés de nos refus, et, s’imaginant que nous ne les avions pas compris, ils entrèrent dans les détails plus explicites ; puis, voyant qu’ils perdaient leur temps, ils se contentèrent de nous offrir des cigarettes et des Murillo, car, il faut vous le dire, l’honneur et aussi la plaie de Séville, c’est Murillo. Vous n’entendez prononcer