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VOYAGE EN ESPAGNE.

lica, l’Alcazar more, sont sans doute des choses fort curieuses : mais la véritable merveille de Séville est sa cathédrale, qui reste en effet un édifice surprenant, même après la cathédrale de Burgos, de Tolède et la mosquée de Cordoue. Le chapitre qui en ordonna la construction résuma son plan dans cette phrase : « Élevons un monument qui fasse croire à la postérité que nous étions fous. » À la bonne heure, voilà un programme large et bien entendu ; ayant ainsi carte blanche, les artistes firent des prodiges, et les chanoines, pour accélérer l’achèvement de l’édifice, abandonnèrent toutes leurs rentes, ne se réservant que le strict nécessaire pour vivre. Ô trois fois saints chanoines ! dormez doucement sous votre dalle, à l’ombre de votre cathédrale chérie, tandis que votre âme se prélasse au paradis dans une stalle probablement moins bien sculptée que celle de votre chœur !

Les pagodes indoues les plus effrénées et les plus monstrueusement prodigieuses n’approchent pas de la cathédrale de Séville. C’est une montagne creuse, une vallée renversée ; Notre-Dame de Paris se promènerait la tête haute dans la nef du milieu, qui est d’une élévation épouvantable ; des piliers gros comme des tours, et qui paraissent frêles à faire frémir, s’élancent du sol ou retombent des voûtes comme les stalactites d’une grotte de géants. Les quatre nefs latérales, quoique moins hautes, pourraient abriter des églises avec leur clocher. Le retablo, ou maître-autel, avec ses escaliers, ses superpositions d’architectures, ses files de statues entassées par étage, est à lui seul un édifice immense ; il monte presque jusqu’à la voûte. Le cierge pascal, grand comme un mât de vaisseau, pèse deux mille cinquante livres. Le chandelier de bronze qui le supporte est une espèce de colonne de la place Vendôme ; il est copié sur le chandelier du temple de Jérusalem, ainsi qu’on le voit figurer sur les bas-reliefs de l’arc de Titus ; tout est dans cette proportion grandiose. Il se brûle par an, dans la cathédrale, vingt mille livres de