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VOYAGE EN ESPAGNE.

spasme de volupté céleste. Je mets ce tableau divin au-dessus de la Sainte Élisabeth de Hongrie pansant un teigneux que l’on voit à l’Académie de Madrid, au-dessus de Moïse, au-dessus de toutes les Vierges et des enfants du maître, si beaux et si purs qu’ils soient. Qui n’a pas vu le Saint Antoine de Padoue ne connaît pas le dernier mot du peintre de Séville ; c’est comme ceux qui s’imaginent connaître Rubens et qui n’ont pas vu la Madeleine d’Anvers.

Tous les genres d’architecture sont réunis à la cathédrale de Séville. Le gothique sévère, le style de la renaissance, celui que les Espagnols appellent plateresco ou d’orfèvrerie, et qui se distingue par une folie d’ornements et d’arabesques incroyables, le rococo, le grec et le romain, rien n’y manque, car chaque siècle a bâti sa chapelle, son retablo, avec le goût qui lui était particulier, et l’édifice n’est même pas tout à fait terminé. Plusieurs des statues qui remplissent les niches des portails, et qui représentent des patriarches, des apôtres, des saints, des archanges, sont en terre cuite seulement et placées là comme d’une manière provisoire. Du côté de la cour de los Naranjeros, au sommet du portail inachevé, s’élève la grue de fer, symbole indiquant que l’édifice n’est pas terminé, et sera repris plus tard. Cette potence figure aussi au faîte de l’église de Beauvais ; mais quel jour le poids d’une pierre de taille lentement hissée dans l’air par les travailleurs revenus fera-t-il grincer sa poulie rouillée depuis des siècles ? Jamais peut-être ; car le mouvement ascensionnel du catholicisme s’est arrêté, et la sève qui faisait pousser de terre cette floraison de cathédrales ne monte plus du tronc aux rameaux. La foi, qui ne doute de rien, avait écrit les premières strophes de tous ces grands poëmes de pierre et de granit ; la raison, qui doute de tout, n’a pas osé les achever. Les architectes du moyen âge sont des espèces de Titans religieux qui entassent Pélion sur Ossa, non pas pour détrôner le Dieu Tonnant, mais pour admirer de plus près la douce figure de la Vierge-Mère souriant à L’Enfant