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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/9

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VOYAGE EN ESPAGNE.

lantes qui ont l’air de s’épauler les unes les autres pour se tenir debout ; une grosse tour ronde, posée sur quelques talus d’anciennes fortifications drapées çà et là de vertes nappes de lierre, relève un peu sa physionomie. De Château-Regnault à Tours il n’y a rien de remarquable : de la terre au milieu, des arbres de chaque côté ; de ces longues bandes jaunes qui s’allongent à perte de vue, et que l’on appelle rubans de queue en style de roulier : voilà tout ; puis la route s’enfonce tout à coup entre deux glacis assez escarpés, et, au bout de quelques minutes, on découvre la ville de Tours, que ses pruneaux, Rabelais et M. de Balzac ont rendue célèbre.

Le pont de Tours est très vanté et n’a rien de fort extraordinaire en lui-même ; mais l’aspect de la ville est charmant. Quand j’y arrivai, le ciel, où traînaient nonchalamment quelques flocons de nuages, avait une teinte bleue d’une douceur extrême ; une ligne blanche, pareille à la raie tracée sur un verre par l’angle d’un diamant, coupait la surface limpide de la Loire ; ce feston était formé par une petite cascatelle provenant d’un de ces bancs de sable si fréquents dans le lit de cette rivière. Saint-Gatien profilait dans la limpidité de l’air sa silhouette brune et ses flèches gothiques ornées de boules et de renflements comme les clochers du Kremlin, ce qui donnait à la découpure de la ville une apparence moscovite tout à fait pittoresque ; quelques tours et quelques clochers appartenant à des églises dont je ne sais pas les noms achevaient le tableau ; des bateaux à voiles blanches glissaient avec un mouvement de cygne endormi sur le miroir azuré du fleuve. J’aurais bien voulu visiter la maison de Tristan l’Ermite, le formidable compère de Louis XI, qui est restée dans un état de conservation merveilleuse avec ses ornements terriblement significatifs, composés de lacs, de cordes et autres instruments de tortures entremêlés, mais je n’en ai point eu le temps ; il m’a fallu me contenter de suivre la Grande Rue, qui doit faire l’orgueil