Page:Gautier - Voyage en Russie, Charpentier-Fasquelle, 1893.djvu/16

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souffre. La peinture, art tout plastique, ne peut rendre son idéal que par des formes et des couleurs. Ce n’est pas assez de penser, il faut faire. L’intention la plus belle a besoin d’être traduite par un pinceau habile, et si, dans de grandes machines de cette sorte, nous admettons volontiers la simplification de détail, l’absence de trompe-l’œil, une couleur neutre, abstraite et pour ainsi dire historique, nous voudrions qu’on nous épargnât les tons durs, aigres, criards, les discordances déchirantes, les maladresses, les disgrâces et les lourdeurs de touche. Quelque respect qu’on doive à l’idée, la première qualité de la peinture c’est d’être de la peinture et vraiment une telle exécution matérielle est un voile entre le spectateur et la conception de l’artiste.

Le seul représentant en France de cet art philosophique, c’est Chenavard, l’auteur des cartons destinés à décorer le Panthéon ; gigantesque travail que la restitution de l’église au culte a rendu inutile, et auquel on devrait bien trouver une place, car l’étude de ces belles compositions serait profitable à nos peintres, qui ont le défaut inverse des Allemands et ne pèchent pas en général par excès d’idées. Mais Chenavard, en homme prudent, ne quitte jamais le fusain pour la brosse. Il écrit ses pensées et ne les peint pas. Toutefois, si un jour on voulait les exécuter sur les parois d’un édifice quelconque, on ne manquerait pas, pour les colorier d’une manière convenable, de praticiens experts.

Nous n’allons pas faire ici l’inventaire du musée de Berlin, qui est riche en tableaux et en statues ; cela dépasserait les bornes d’un article. On y rencontre, plus ou moins bien représentés, tous les grands maîtres, honneur des galeries royales. Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est la collection très-nombreuse et très-complète des peintres primitifs de tous les pays et de toutes les écoles, depuis les byzantins jusqu’aux artistes qui ont précédé la Renaissance ; la vieille école allemande, si inconnue en France et si curieuse à tant d’égards, peut être étudiée là mieux que partout ailleurs.