Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/570

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vrier comme lui pour profaner son humble bonheur ! Mes formes amaigries, ma chevelure inculte, mon teint flétri par le hâle, m’eussent mise à couvert d’une si grossière insulte, et ma laideur honnête n’eût pas eu à rougir. Comment oserai-je, après la scène de cette nuit, passer à côté de ces hommes, droite et fière sous les plis d’une tunique qui n’a rien à dérober ni à l’un ni à l’autre ? j’en tomberai morte de honte sur le pavé ! ― Candaule, Candaule, j’avais pourtant droit à plus de respect de ta part, et rien dans ma conduite n’a pu provoquer un tel outrage. Étais-je une de ces épouses dont les bras s’enlacent comme le lierre au col de l’époux, et qui ressemblent plus à des esclaves achetées à prix d’argent pour le plaisir du maître qu’à des femmes ingénues et de race noble ? ai-je jamais chanté après le repas des hymnes amoureux en m’accompagnant de la lyre, les lèvres humides de vin, l’épaule nue, la tête couronnée de roses, et donné lieu, par quelque action immodeste, à me traiter comme une maîtresse qu’on montre après un festin à ses compagnons de débauche ? »

Pendant que Nyssia s’abîmait ainsi dans sa douleur, de grosses larmes débordaient de ses yeux comme les gouttes de pluie du calice d’azur d’un lotus à la suite de quelque orage, et, après avoir coulé le long de ses joues pâles, tombaient sur ses belles mains abandonnées, languissam-